Au début, c'était très formel.

Fut dire, il était pas venu par pur plaisir. Bien au contraire même. Sa place aurait dû être dans son bureau, réglant de formels papiers officiels, archivant divers dossiers, s'assurant que les putains de toilettes du commissariat n'étaient pas mit hors d'usage !

Car oui, bordel, s'il était là, c'était surtout à cause de la putain d'épidémie de gastro qui se répandait à vitesse lumière chez les flics. Il n'avait pas eu de mal à s'en préserver, se désinfectant les mains toutes les deux minutes et refusant tout contact. De fait, il avait dû prendre quelques mesures d'urgences pour accomplir ce qu'il y avait à accomplir, avec effectif réduit.

Donc, la planque, c'était pour lui.

Soupir.

Quand il n'était encore qu'officier, il avait fait quelques planques et interventions sur le terrain. En ancienne épée, personne ne l'imaginait coincé dans une voiture pendant des heures à attendre que quelque chose se passe. Pourtant, c'est exactement la position qu'il avait tenu de nombreuses fois.

Et maintenant, à nouveau.

Nouveau soupir.

Non pas que la planque fut désagréable. Bien au contraire. Une pâtisserie avec un homme, Hansel, des plus extraverti et sympathique… Que du bonheur pour sn amour du sucre. Mais le port du tablier lui était étranger, il était mal à l'aise. Déjà que l'endroit, n'aurait jamais été dans ses lieux de prédilections s'il avait été en dehors de son service…

Alors une mission Undercover…Niet !

Enfin, niet…Niet d'accord, Diet, jamais.

Excalibur sourit béatement en prenant l'aliment informe que Hansel lui tendait entre ses mains gantées. Il le porta à sa bouche timidement et croqua dans le morceau froid et doux du chocolat. Le goût de la framboise s'étira sur sa langue et le sucre pétillant scintilla sur ses papilles comme le soleil dans une flaque d'eau. Il claqua sa langue contre son palais, plissa les yeux, avala et profita du délicieux goût onctueux du chocolat fondu et réchauffé par la salive, coulant dans sa gorge.

Il ouvrit les yeux et passa une langue gourmande sur la jointure de ses lèvres.

"Si je puis me permettre…Peut-être…Du chocolat blanc… J'aurais bien aimé goûté une épaisseur de chocolat blanc avec la framboise… Mais sinon, c'est quasiment parfait."

Il reposa le morceau sur une table pas loin et pressenti le besoin impétueux de se laver les mains et les avant-bras. Peut-être même, soudainement, les jambes et les extrémités de ses pieds. Ses orteils et les ongles, aussi.

Comme si le chocolat, tube pneumatique imaginaire entre les doigts d'Hansel et ses gants de travail, l'avait contaminé à travers le plastique et ses doigts couvert d'antibactérien.

Plus que cinq minutes avant l'ouverture. Il s'éclipsa rapidement, s'approcha du lavabo pour la plonge et nettoya ses bras, les raclant, les griffant, les couvrant de liquide vaisselle jusqu’à se sentir propre.

Assez propre, du moins.

Après-coup, il changea de gants, s'équipa d'un chiffon et se mit à nettoyer les tables.

Open.

Il récapitula ce qu'il devait attendre, dans sa tête.

Normalement, le type devait se pointer dans pas longtemps, dès l'ouverture. Il trainerait une vingtaine de minutes sur place, prenant toujours la même commande, un café gourmand avec du chocolat extra-noir. Il quittera le café dès le premier client arrivé.

Et la piste s'arrête là.

Ca faisait des jours qu'il attendait que le mec se pointe, espérant pouvoir le traquer une fois qu'il aurait mit son nez dans la pâtisserie, comme une souris met le nez dans un piège.

Il poussa un profond soupir. L'attente commençait à le lasser.

D'un coup de chiffon, il nettoya une table.

La porte s'ouvrit.

Un client entra.

Excalibur leva le nez de son travail, jetant un œil affable sur le nouvel arrivant.

"Bienvenue !"

Et il le fit asseoir.

Avec fébrilité, il avait pris la commande de l’homme.

Ey ! C’était la bonne commande ! Excalibur ne put réprimer un sourire ravi, qui se changea rapidement en sourire cordial et il fila en cuisine, un plateau collé contre son cœur, le visage illuminé. Enfin, le poisson mordait à l’hameçon ! Après tout ce temps ! Il avait cru qu’il ne viendrait jamais !

Il faillit glisser sur le sol qu’il avait bien trop récuré, se rattrapa de justesse et complément surexcité, comme un gamin qui vient de découvrir une planque fabuleuse remplie de bonbons, il s’approcha du patron des lieux. Il savait que Hansel allait faire surement faire un café gourmand bon à en damner un saint !

Un afflux de salive se fit sentir contre son palais. Il avala rapidement et zieuta sur le caramel.

« Oh bordel, des poires grillées au caramel avec du pain perdu…La vision s’impose à moi, là. »

L’esprit d’Hansel imprégnait les lieux et Excalibur se sentait influencé par cette imposante présence que possédait Hansel. Physiquement parlant, certes, mais plus encore, mentalement. Hansel avait un certain charisme, un certain aplomb, qui faisait de lui un être foncièrement sympathique et plus encore, terriblement attachant.

Il n’avait pas fallu longtemps à Excalibur pour apprendre à se lâcher devant lui. Que cela soit pour les actes et remarques les plus guindés ou pour sortir les pires folies sans aucune gêne.

La lame arc-en-ciel toussota pour cacher sa gêne, sourit de toutes ses dents blanches et étouffa un rire. Oh que oui ! Chassant un trafiquant de drogue dans un environnement remplie de bonnes odeurs de confiseries sucrées, il se sentait sur un petit nuage !

Au paradis même ! Il sentait se manifester en lui, un retour de l’enfance qu’il n’avait jamais eu. Il était venu à la vie telle une épée après tout ! Digne, noble, meurtrier, tranchant…

Mais là, il ressemblait plutôt à un gamin dans un parc d’attraction.

Reprenant ses esprits, il s’approcha fièrement d’Hansel et lui dit avec beaucoup de satisfaction dans la voix, l’excellente nouvelle.

« Patron, un client ! Il souhaite un café gourmand avec du chocolat extra-noir. »

Il sourit chaleureusement à Hansel. Il avait bien appuyé sur le mot "Patron", puis s'était placé légèrement en retrait par rapport à lui, mais prêt à prendre n’importe quel ordre venant de ses lèvres.

Question de vraisemblance.

Il ne fallait pas mettre le suspect en alerte et puis, il s’amusait bien trop pour ne pas prendre son rôle au pied de la lettre ! Il était un employé de confiserie, fada de sucrerie et grand admirateur de la technique de son patron.

Il lança un clin d’œil à Hansel avant de lui souffler le plus discrètement possible au creux de l'oreille, mais avec un rire pétillant dans la voix :

« Hé, si tu as besoin d’aide, n’hésite pas. J’aime le sucre et je vis seul, alors je sais aussi préparer deux trois trucs, si je peux t’aider, tant qu’il n’y a personne d’autres... »

Il pencha sur le côté et joignit les mains devant son tablier, dans une attitude interrogative.

Pétard, c’était drôle tout de même !
Un appartement au-dessus d’une boutique de chocolatier, faut dire, il n’avait jamais vu ça. Il y avait une sacrée différence entre le savoir et le voir. Et là, ça lui foutait un choc ! Non pas que l’appart d’Hansel eu quelque chose à se reprocher, mais pour Excalibur,  c’était déjà trop… Trop… Trop cocoon !

Ca le changeait de son musée d’appartement… Avec son bureau posé dans une pièce vide et ses affaires installées comme dans un musée, sur fond blanc et sans un gramme de poussière dessus…

Il mit un moment à redescendre, une main sur la poignée du placard, ses yeux se baladant sur l’appartement. Et pendant un instant, son cœur fut étrangement lourd. Mêlé de regrets et d’envie. Rien qu’a voir son appartement, on reconnaissait Hansel. Sa personnalité imbibait les lieux.

Alors que lui, comment pouvait-il appeler son appartement sa « maison », vide de tout qu’elle était ?

Parfois, il ne se comprenait pas lui-même.

Il souffla profondément, laissa un sourire vague naître sur ses lèvres et se remit au travail.

En bas, une bonne surprise l’attendait. Le café gourmand était en cours de préparation et presque terminé.

Il s’approcha de la création, la détailla et se mit d’accord avec lui-même pour dire que c’était quand même un peu de l’art, tout ça… Ses papilles approuvèrent quand elles furent envahit d’un surplus de salive qu’il ravala difficilement.

Hansel. Putain, il devait pas avoir eu à le chercher longtemps son boulot lui, vu son ancienne vie. Entre la maison de confiserie, la sorcière grillée, le fait d’avoir été engraissé… Bah, forcément, ça développe le sens du goût tout ça. La seule ombre au tableau, pensa-t-il en levant les yeux du plan de travail, c’était l’absence de la sœur.

Une sœur. Une ombre mouvante. Il pouvait le percevoir, à travers les effluves sucrés et le sourire d’Hansel. L’absence d’une famille, la solitude du passage de la mort. Le pauvre homme était coupé en deux.

Excalibur le voyait comme il voyait le chocolat chaud onduler dans la tasse. Il le sentait dans chaque frisson, dans chaque mouvement d’air. Dans les vibrations de la pièce.

Enfin… Il le sentait, mais ne pouvais le comprendre.

Une famille ?

Il n’en avait jamais eu.

Ses yeux brillèrent quand Hansel lui indiqua la présence d’une nouvelle confiserie pour lui. Il se tourna en un geste et il ne fallut pas bien longtemps pour que le gâteau se retrouve au contact de sa langue.

Il dévora le tout dans un silence appréciateur, croquant à pleine dents dans le goût de paradis.

Une famille. Il n’en avait jamais eu.

Excalibur était égoïste et indépendant. Excalibur était une arme.

La famille…

Une idée.

Une simple idée, bonne pour les humains destinés au trépas.

L’attachement, en voilà une drôle d’idée.

Et il termina sa tartelette.