Un frisson. Une caresse. La tendresse du toucher de l'être aimé. Le manque laissé par son absence.

Les rêves à son sujet s'évanouissaient toujours trop vite, et petit à petit, son souvenir se délavait avec le temps, s'estompait sous les couches de vécu. Les yeux rivés au plafond, le Joueur de Flûte effaça rapidement une larme qui lui venait au coin de l’œil, ses prunelles carmin fixées au plafond. Chaque jour qui passait était plus douloureux que le précédent ; ses cicatrices étaient là pour lui rappeler son impuissance. 

Silencieusement, il quitta la chaleur des draps pour se lever et enfiler un déshabillé à l'allure luxueuse, vidant au passage un verre de whisky encore à demi-plein dans l'évier. Essayer de l'avoir avec de la drogue était une mauvaise idée, d'autant plus sous son propre toit. Avec mépris, il jeta un vague regard à l'homme qui dormait encore dans son lit, un léger sourire aux lèvres. Celui-ci allait sans doute avoir un bon mal de tête au réveil, et peut être même de violents vertiges. Mais après tout, ce n'était pas son problème s'il avait consommé le mauvais verre...

Une rapide douche lui permit de délasser ses muscles et de récupérer à minimum de fraîcheur. Il n'avait pas beaucoup dormi cette nuit, mais cela ne se verrait guère, puisqu'il allait de toute façon s'appliquer du fond de teint. Une pratique qui s'était inscrite dans sa routine, du moins lorsqu'il sortait de jour : il préférait ne pas exposer sa blessure aux yeux de n'importe qui. Alors, patiemment, il étalait le cosmétique sur son visage, sur ses paupières. Ce que la plupart des gens ignoraient -et cela incluait son entourage proche-, c'était que la mutilation qu'il avait subi avait considérablement entaché la vision de son œil gauche. En fait, il ne pouvait quasiment compter que sur son œil droit, ce qui représentait un handicap réel en plus d'une gêne au quotidien. Mais par soucis d'image, l'homme puissant qu'il était préférait ne pas divulguer cette information. Qui sait ce que certains auraient trouvé à en faire pour tenter de lui nuire. Cette pensée le fit froncer les sourcils... Sa colère n'était jamais bien loin.

Une fois sa peau uniformément blanche, il quitta son reflet pour enfiler chemise et pantalon, puis bu un rapide café en s'informant de l'heure. Cinq heures trente. À cette période de l'année, le soleil commençait à peine à poindre si tôt le matin. Mais c'était parfait à son sens ; il n'aimait pas sortir de jour et s'il s'en trouvait dans l'obligation, alors autant le faire lorsque presque personne ne serait levé. 
Après avoir passé un long manteau noir qui semblait avoir été arraché à la nuit elle-même, il quitta son logement pour se mettre au volant. Avec assurance, il fit vrombir le moteur et démarra au quart de tour : ce petit bijou qu'était sa voiture ne souffrirait pas la comparaison dans les quartiers plus aisés, c'était un avantage. 

Comme il approchait de son lieu de rendez-vous, il gara sa voiture un peu plus loin, et s'avança vers un petit pont sous lequel coulait un filet d'eau claire. Comme dans ses souvenirs, cet endroit était toujours aussi charmant, mais vide d'intérêt véritable. Ici, les gens vivaient parfois dans une telle opulence qu'ils en venaient à oublier les plaisirs simples...
Le Joueur de Flûte jeta un coup d’œil à son téléphone. 

Était-il nerveux ? Possible. Ce n'était pas souvent qu'une chance comme celle-ci se présentait, que quelqu'un choisissait d'accepter de sortir de l'anonymat pour partager des informations aussi importantes avec un inconnu. Mais plus que tout, l'impatience dominait. Il fallait que cette fois-ci soit la bonne, car les échecs s'entassaient, et avec eux l'amertume. Une brise vint agiter sa chevelure immaculée tandis que son regard, soudainement un peu plus dur, se perdait dans l'observation du soleil levant. 

Les réponses à ses questions étaient peut-être à portée de main, cette fois.