Vêtue d'une robe élégante dans les tons marron et or et dont le col plongeant révélait juste ce qu'il fallait du haut de ma poitrine, j'avais décidé ce jour-là d'aller faire un pic-nique avec Henry dans la forêt bordant notre château. J'avais chaussé pour l'occasion de petits souliers plats, et accompagnée de quelques domestiques nous nous étions mis à la recherche d'un petit coin tranquille. Ledit coin trouvé, la nappe avait été installée et j'avais pu chantonner en dressant le couvert dans l'attente de mon aimé. Un sourire innocent, béat presque, illuminait mon visage et faisait briller mes yeux bleu vif, comme chaque fois que je songeais à celui qui m'avait sortie de la misère et offert la vie la plus paradisiaque dont je pouvais rêver. Penser à ce passé ne me faisait plus autant de peine, le souvenir de ma belle-mère et de mes irascibles sœurs ne me gênait plus, et je ne ressentais plus ce pincement au cœur qui me prenait alors. Je profitais de ma nouvelle vie, tout simplement, avec bonne humeur et enthousiasme.

Et pourtant, quelle ne fut ma surprise de m'éveiller loin de tout ce bonheur. L'inquiétude s'était emparée du bleu de mes yeux, puis la terreur y avait trouvé sa place alors que j'errais dans ce monde étrange si différent. Ma belle robe semblait m'avoir été prise, mais par qui ? et remplacée par un pantalon de même couleur ainsi qu'une chemise qui aurait plu à mon époux ! Ma poitrine était devenue plate, mes cheveux si courts qu'il m'était même impossible de me les attacher, et ma voix était certes encore douce et claire mais un poil plus grave, trop grave pour que je ne puisse chanter. Sans compter l'étrange chose qui avait habité mon pantalon... Puis, à mesure que je déambulais au milieu de tous ces inconnus, ma bonne humeur, ma confiance et mon enthousiasme s'amenuisèrent petit à petit jusqu'à me faire découvrir le goût âpre du défaitisme. J'en venais à désespérer de voir mon Henry venir me tirer d'ici, et cette nouvelle émotion me broyait le cœur à n'en laisser que des morceaux. Une peur tangible m'avait envahi, celle de ne pouvoir regagner mon château et de me retrouver coincé par une armée israélienne sans possibilité de fuite et accusé à tord de travailler pour les palestiniens, et il me semblait que le destin me reprenait ce qu'il m'avait offert pour me diriger vers un avenir plus cruel encore que mon passé...
 

J'aimais profondément mon père. C'était un homme bon, respectable, gentil et attentionné, tout ce dont une petite fille pouvait rêver. Aussi lorsqu'il me présenta sa nouvelle femme, j'étais déjà certaine que ce serait une femme admirable et que j'accueillerais ses filles avec plaisir comme étant mes sœurs. Comme je me trompais ! Dès lors qu'il mourut, je devins l'une des domestiques, rabaissée toujours plus bas que terre par leur vilénie. Pourtant malgré tout, le souvenir de l'incroyable bonté de mon père ne me quittait pas et je m'efforçais d'être sa digne fille malgré les mauvais traitements.

Je fut récompensée un soir par le destin, qui mis sur ma route ma chère et tendre Marraine, ma seule et unique bienfaitrice. Grâce à elle, je pu participer au bal organisé par le Prince et m'y rendre avec pour ordre de rentrer avant minuit. Et arrivée sur place, un peu en retard malgré tout, je le vis. Il était beau, plein de vie, charmeur et intelligent... Je succombais aussitôt sans savoir qu'il s'agissait du prince, mais j'étais tellement heureuse d'avoir fait sa connaissance que le Prince me sortit de l'esprit. Lorsque cette maudite horloge sonna, bouleversée, je m'enfuyais en courant et en oubliait sur place ma pantoufle de verre.

La suite s'imagine fort bien : ma belle-mère apprit mon escapade et me fit payer cher ma folle nuit avec ce bel inconnu. Mais je m'en moquais ! Sa méchanceté ne m'atteignait plus, seuls mes souvenirs avaient un impact sur mon moral et fort heureusement il restait au beau fixe. Quelques temps plus tard, j'entendis que le Prince -mon dieu, c'était lui alors ?!- cherchait à retrouver la propriétaire du fameux soulier perdu, et malgré toute l'énergie déployée par ma marâtre pour m'empêcher de l'essayer, je réussissais à enfiler ma deuxième chaussure. Et j'épousais mon prince. Et ma vie devenait enfin la plus magnifique de toute...

Mais alors pourquoi ? Pourquoi subitement, alors que je devrais me réveiller auprès de mon aimé, je me retrouve allongé à même le sol dans une ruelle que je ne connais pas ? Je me suis relevé d'un bond et me suis élancé à la recherche du château pour trouver quoi ? Cette ville ne pouvait être notre royaume, c'était impossible ! Il devait s'agir d'une ville palestinienne, ou que sais-je ! Et lorsque je m'avançais vers un homme non loin pour l'interroger, lui demander de l'aide, la voix plus grave mais toujours aussi douce qui jaillit de ma gorge me fit croire que tout ceci n'était qu'un rêve : ce n'était pas la mienne, c'était celle d'un homme ! Je baissais alors les yeux sur moi et observais avec effarement ma tenue. L'homme m'observait, me demandait si j'étais ivre ? Mais enfin une Princesse ne s'abaisse pas à boire ! Pourtant j'eu beau taper du pied, il riait toujours de moi.

Je décidais de m'enfuir, je finirais bien par retrouver mon palais ?! Mais je ne faisais que m'enfoncer toujours davantage dans les méandres de cette ville qui me faisait frissonner. Je n'osais parler par crainte d'entendre cette voix qui habitait ma gorge, par crainte qu'elle soit toujours là ! Je me passais de l'eau sur le visage et me pinçais même le bras, mais non ! Je ne me réveillais pas ! Et lorsque je m'approchais d'une souris pour quémander son aide, elle se jetait sur moi pour me mordre ! Depuis je tourne en rond, j'évite ces gens étranges par peur et je me terre dans mon coin... Mon beau Henri va sûrement venir me chercher... Marraine, Ô chère Marraine, venez à mon aide !!!

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