C'était une journée tout ce qu'il y avait des plus ordinaires. Probablement aurait-elle était plus intéressante si une urgence médicale s'était montré, ou si un patient avait eu la soudaine idée de faire une crise cardiaque, ou quelque chose dans le genre. Mais non. Aujourd'hui avait été incipide et ennuyeux à mourir. Pas d'os cassés, que des rhumes, des grippes, quelques nez qui coulent mais jamais rien de méchant. Absolument pas de quoi agiter l'esprit si affuté de John Watson. Médecin donc de profession, il fallait dire qu'aujourd'hui, les journées étaient longues. Atrocement longues. En regardant -entre deux patients- la montre à son poignet, John se rendit compte qu'heureusement, il ne manquait plus que quelques heures avant de rentrer chez lui. Aslan -le chat- l'accueillerait probablement avec un miaulement heureux et avec un peu de chance, Lorenzo aurait décidé de rester pour une nuit endiablée. Parce qu'il fallait au moins ça pour que le médecin ait l'impression de ne pas avoir complétement perdu son temps depuis le réveil. Il secoua sa tête, se forçant donc à se réveiller. Hors de question de se laisser abattre pour autant et de montrer son affliction. Les patients attendaient, et il n'en restait que deux, selon le souvenir du rosé.

Mais il eut une jolie surprise en ouvrant la porte. En plus des deux patients présents -qui visiblement étaient en train de prendre leurs jambes à leur cou- se trouvait Croquemitaine. Cet homme qu'il avait trouvé un jour, et qu'il avait aidé. Pour qu'il puisse s'installer et faire sa vie dans ce nouveau monde. Un tendre sourire vint fleurir le visage du médecin qui tendit une main amicale vers son ami, la posant contre le pas de la porte plutôt que contre l'épaule du brun. Le rosé avait remarqué que l'Ombre n'aimait pas spécialement les contacts physiques. Peut-être parce que de physique, il n'en avait jamais possédé jusqu'à aujourd'hui ? Une question qui resta en suspens alors que John s'avança de quelques pas dans la pièce.

— Entre, je t'en prie.

Un petit ricanement discret -c'était toujours adorable lorsque quelqu'un qui ne comprenait rien à la mécanique humaine se retrouvait avec un simple rhume- et il refera la porte derrière eux deux, s'installant contre son bureau. La chaise faisait bien trop formelle.

— Raconte moi donc ce qu'il t'arrive.

Le médecin ne se permettait certainement pas de rire de la condition de l'autre homme, mais il avait ce sourire amicale et avenant sur le visage.

Il fallait dire qu’une condition humaine, lorsqu’on avait été qu’une ombre sans corps, ne devait clairement pas être enviable. Se retrouver du jour au lendemain avec des sentiments, des sensations, des envies et des désirs -voir des haines- n’était pas une chose enviable, pour personne. Alors, lorsque l’Ombre ouvrit la bouche et se mit à débiter tout ce qu’il avait sur le coeur, John ne put s’empêcher de sentir son coeur se serrer dans sa poitrine. Il voyait là l’expression d’une douleur profonde, d’un homme qui ne supportait clairement pas sa condition d’humain. Quelque chose qu’il avait, malheureusement, l’habitude de voir tous les jours, dans ce cabinet. Parfois même à l’hôpital, le médecin assistait à des scènes de violences à cause de personnes incapable de vivre dans cet état là. Croquemitaine allait-il lui aussi finir par attenter à ses jours, ne supportant plus ce qu’il était devenu ? John en perdit son sourire, un air soudainement grave sur le visage bien qu’il tenta de le masquer au maximum. Montrer son anxiété à un patient était bien la dernière chose à faire si l’on voulait déclencher un vent de panique.

— De ce que j’en vois pour le moment, tu n’as rien de grave. Cela devrait durer quelques jours encore mais ça va s’estomper, ne t’en fais pas. Ton corps doit apprendre à combattre les petites maladies comme celle-là.

Dans sa tête, John fis mentalement la liste des médicaments qu’il faudrait donner au brun pour ainsi calmer son simple rhume. Parce que le rosé était un médecin aguerri et son oeil entraîné ne hurlait qu’une seule chose : l’autre homme ne souffrait clairement pas d’une pathologie extrême, surtout s’il lui restait assez d’énergie pour hurler ainsi. Il s’approcha donc de son bureau pour en saisir une paire de gant, et de quoi prendre la température de son patient. Un appareil qu’il mettait près de l’oreille sans pour autant toucher quoi que ce soit. Une sécurité pour les hommes qui ne supportaient pas de se faire toucher.

— Oui, je le crains. Mais je tâcherai de ne te toucher que si nécessaire. Regarde.

Fièrement, il montra ses mains gantés. Une fiche couche de plastique, un contact qui n’allait pas vraiment en être un. John attendit néanmoins le feu vert de l’autre homme avait de tenter quoi que ce soit, se contentant de montrer bien haut ses deux mains qu’il secoua légèrement, amenant donc l’attention vers elles plutôt que vers l’objet qu’il venait de poser sur son bureau.

— Nos peaux ne se toucheront pas, est-ce supportable pour toi ? Je ferais au plus vite.

Et toujours ce tendre sourire sur ton visage. John pensait bêtement que ça allait le détendre.

Le pauvre comme avait réellement l’air mal en point. La quinte de toux qui le prit fit grimacer John lorsqu’il remarqua qu’effectivement, le rhume était peut-être un peu plus lourd que ce à quoi il s’attendait. Ceux qui n’avaient jamais été humains avaient tendance à tomber malade de façon plutôt violente tant ils n’avaient jamais connus les maladies avant. Pire encore, leurs corps n’étaient pas encore formé pour repousser les maladies, ce qui pouvait rendre un simple rhume assez dévastateur. Il fallait donc prendre les choses en main et délivrer la dose exacte de médicaments pour le corps de CroqueMitaine soit en mesure de combattre l’infection qui semblait tant le faire souffrir.

— Oh.

John réalisas alors ce dont son ami parlait. C’était effectivement bien plus qu’un rhume. Rougissant légèrement -et bien heureux que l’Ombre se soit approché pour une étreinte qu’il lui rendit volontiers pour cacher son propre visage-, il s'éclaircit la gorge, la voix légèrement tremblante, posant une main non assurée sur la chevelure de son ami, le gardant ainsi tout contre lui. C’était chaleureux, ainsi. C’était agréable, d’avoir un moment aussi apaisant après une telle journée de travail. Un doux soupir s’échappa des lèvres du médecin qui se permit, l’espace d’une seconde, de profiter de ce moment avant de finalement prender une inspiration courte. Il ne pouvait pas laisser ce pauvre bougre sans explication. Il semblait tellement désemparé que ça aurait été presque cruel de ne rien dire de plus.

— Tu n’as jamais expérimenté ceci ? Je pense que… je te plais. Essayons ceci pour vérifier ma théorie.

En douceur, toujours les mains gantés, le médecin attrapa les deux joues de son ami entre ses doigts, redressant son visage pour qu’ils se retrouvent là, l’un en face de l’autre, si près que leurs souffles s’entrechoquer. John n’avait clairement pas l’intention d’échanger un quelconque baiser avec l’autre homme -ce dernier n’avait aucune conception de l’attirance humaine de toute façon, en espérant que ça ne soit pas un sentiment plus profond que ça- alors il se contenta simplement de sourire. Un sourire tendre et chaleureux, celui qui avait presque le pouvoir d’apaiser les plus tristes, de rendre le monde un peu meilleur juste pour quelques secondes. Très proches, là, le rosé attendit la réaction de son ami pour vérifier s’il s’agissait là d’attraction purement physique ou pire. Ce qui l’aurait bien embêté, soit dit en passant. Tu étais trop attaché à la personne qui, ces derniers temps, occupait toutes tes pensées.

— Que ressens-tu ?

John avais murmuré cette phrase, tout bas.

John ne pouvais pas dire que ce baiser ne l’avait pas surpris. C’était étrange, après; ses patients ne se bousculaient pas habituellement à sa porte pour avoir le plaisir de poser leurs lèvres sur celles du médecin. C’était là un geste si intime que le flegme Anglais en lui bondit tout à coup. Il lui fallait une retraite, et vite. Cette fois, c’était le Capitaine qui parlait, le médecin militaire habitué aux champs de bataille. Certes ça n’en était pas une ici, c’était vrai. Mais tout de même. Il fallait réfléchir mais ce n’était clairement pas facile dans une situation pareille. Qui aurait été capable de rassembler ses pensées après avoir été embrassé par quelqu’un qui venait juste de vous avouer son attirance ? John n’était pas de ces hommes à repousser lourdement d’une insulte ou d’une claque, et il réfléchissait à la manière de se sortir de cette situation. Un léger mouvement de recul qu’il ne sut contrôler, et voilà que leurs lèvres venaient de se séparer dans un claquement de peau caractéristique. Le rouge lui monta aux joues.

— Je t’en prie...

Une supplication, une mélancolie dans le regard. John ne voulait pas faire du mal à cet homme. Il était devenu médecin pour aider les gens, pour les guérir par passion, et non pas pour briser des coeurs plusieurs fois par jour. Bien heureusement, c’était la première fois qu’une chose pareille arrivait mais combien de fois cela allait-il encore se produire ? Il se rendit alors compte, pour la toute première fois, qu’être une proie autant qu’un chasseur était une chose plus vraie que jamais depuis son retour à la vie. S’il ne faisait pas attention, plus d’un pourrait voir dans ses gestes et ses sourires des afflictions qui n’avaient pas lieu d’être. Les mains posées sur les épaules du brun, John se recula lentement. Par ses gestes, il ne montrait clairement pas une retraite violente et il ne montrait pas à quel point il repoussait le geste; ces choses-là devaient rester dans son esprit, pas ailleurs.

— Je vois. Je ne … partage pas cette attirance mais… enfin.

Il s’éclaircit la gorge, faisant un pas en arrière, une main sur la nuque. Comment l’expliquer ?

— L’ordonnance. Il te faut l’ordonnance pour ton rhume.

C’était mieux ainsi. En se retournant, John se dirigea derrière son bureau et s’y nonchalamment -une position qui ne reflétait pas du tout le trouble de son esprit-, et se mit à griffonner quelques mots sur la feuille de papier qu’il tenait devant ses yeux.